Être photographe répond à une volonté de témoigner, de transmettre une réalité poussée au-delà du premier regard.

ES-TU BIEN SÛR (E) DE VOULOIR SAVOIR QUI JE SUIS ?

D’origine franco-péruvienne, du côté français mes grands-parents sont agriculteurs. Mon grand-père chasse à tir, ma grand- mère cuisine le gibier. Réveil à 5 heures du matin, traire les vaches, sortir les vaches, faire naître les veaux, ramasser les œufs, donner à manger aux lapins, tuer le lapin, dépouiller le lapin, travailler la terre... Belote. C’est ainsi que je passe mes petites vacances jusqu’à l’âge de six ans.

Le reste du temps, je vis aux Roses rouges…

À Villejuif, je joue dans le bac à sable, face à ma tour, la numéro 17 ; les jeunes et les dealers sont assis sur le chauffe-eau de l’immeuble, à côté des caves. Mes amis, Hicham, Fatima, Magalie, Virginie, Jérôme, Omar ou Évelyne jouent avec moi. C’est chez mes petits voisins, au rythme du ramadan, que je grandis.

Depuis ma naissance, nous partons dans les Andes et la jungle amazonienne deux mois par an ; Cuzco, la vallée sacrée, Qcosnipata, Paucartambo... Quand nous arrivons à Lima, c’est chez la tia Eva, sœur de ma grand-mère, que nous allons. Elle vit dans une vaste maison coloniale avec un immense jardin, des palmiers, des mosaïques bleu turquoise et blanc, des employées, un patio central orné d’une grande fontaine en pierre. Sans le savoir, je quitte ma cité pour jouer à la marelle dans une maison digne des plus beaux romans de Gabriel García Márquez. À Cuzco, mes grands-parents ont aussi une maison coloniale, avec une dizaine de chambres, un grand patio, des balcons en bois et le plus génial, c’est que nous vivons tous là, ensemble, en famille. Ma grand-mère, d’origine italo-basque espagnole, mène la maison d’une main de fer mais avec amour.

C’est une famille matriarcale. Mon grand-père est originaire des Andes, il a des milliers d’hectares en Amazonie. À la tête d’une scierie, il voyage ;
quand il est là, il préside l’immense table du repas. Ils ont dix enfants, trente-quatre petits-enfants et aujourd’hui vingt-quatre arrière-petits- enfants.

Aux repas nous sommes au minimum une trentaine et mamie Bertha, avec ses cuisinières, prévoit toujours pour au moins cinq personnes de plus ; on ne prévient jamais de son arrivée, on arrive. Ma grand-mère donne le gîte et le couvert aux mochileros : elle est connue au-delà des frontières depuis les années 1980, quand les baroudeurs ressemblaient plus à des repris de justice qu’à des panneaux publicitaires pour Décathlon.

Je grandis en les regardant du coin de l’œil, en bout de table avec tous les autres enfants, je suis époustouflée, émerveillée, bluffée, interloquée, curieuse, rêveuse, mais aussi peureuse...

«Tu m’emmènes sur ton vélo ? »... Déjà enfant, j’ai le goût de la découverte de l’ailleurs. Ils et Elles traversent le monde à vélo, à pied, à cheval, en stop, Ils sont tatoués, ont de grandes barbes, Elles ont des ongles noirs ; leurs mains usées, leurs yeux racontent le monde, les rencontres, le savoir, leurs sourires sont dorés. L’espagnol se mélange au quechua, le quechua à l’anglais, l’anglais à l’allemand, l’allemand au français.

Les week-ends nous partons à Quispicanchis, dans la vallée sacrée, dans la maison de mes arrière- grands-parents, une très vieille maison en adobe, sans électricité ni eau courante ; nous avons des lanternes au fioul, je joue avec les Indiens. Avec mon frère Mario et mes cousins nous aidons les Indiennes à déterrer les pommes de terre dans les champs – un de mes plus forts souvenirs ; mon terrain de jeu, c’est la cordillère des Andes. Seule obligation, il faut rentrer pour déjeuner, quand le soleil est bien haut. Ma grand-mère et mes tantes égorgent le cochon, ébouillantent le cochon, enlèvent les
poils du cochon, vident ses boyaux, préparent du boudin ; à midi on mange du cuy (prononcer « couilles » !), ce sont les cochons d’Inde andins.

Ma famille est profondément croyante, chacun pratique à sa manière, mais la vie est tout de même rythmée par la messe, les « Padre nuestro que estas en los cielos... », les « Santa Maria, llena eres de gracia... », les fêtes religieuses catholiques tintées des couleurs de l’animisme andin et par les offrandes à la Pachamama, à la Mamacha Carmen, les chamans, les guérisseurs et les Apus (les divinités de la montagne pour les peuples andins). Tous sont baptisés et confirmés ; pour moi, c’est différent, ils essaient par trois fois de me faire baptiser, mais rien à faire, à chaque fois, il se passe quelque chose. Ils jettent l’éponge, je suis apparemment vouée à autre chose.

À l’âge de six ans, avec mon grand frère et mon père, nous quittons la France, la ferme de mes grands- parents et notre tour numéro 17 ; je pars grandir au Pérou. Je partage désormais ma vie entre le lycée français, la haute société de Lima, les ambassades et les Andes, la jungle et les bidonvilles où travaillent les artisans de mon père. Pour couronner cet incroyable début d’histoire, notre arrivée au Pérou coïncide avec le début d’une guerre armée contre le Sentier lumineux et le Mouvement révolutionnaire Tupac Amaru.

Beaucoup de contrastes pour mes six petites années sur terre. Cinq mondes complètement distincts,voire opposés. Richesse et déchirement perpétuel.

Riche de mes multiples regards, je suis totalement allergique à l’autorité et aux cages dorées ornées de murs en Mashmalow… Je suis donc assez RE - BELLE et très mauvaise élève durant ma scolarité ! Après une petite enfance assez incroyable… Je m’ennuie à mourir ! La seule chose qui me fait vibrer, c’est le rêve de partir à la rencontre des peuples et cultures du monde… Je deviens donc hôtesse de l’air ! Pour mon entourage, ça se réduit à être une bonne dans un avion ! Ainsi soit-il… Servir est un honneur du moment que je parcours le monde ! Lors de mes escales, je visite avec passion les pays que je traversé et s’est confrontée à la misère que je décide de m’investir dans l’action humanitaire, notamment au Pérou. Je suis d’abord volontaire à la Posadita del buen pastor à Lima, avec des enfants atteints du Sida, souvent orphelins, et toujours rejetés. Je m’engage également envers les enfants des rues exploités dans des usines à briques.

C’est à mes 23 ans, après 2 ans de baroudage intensif, au détour d’un désert près de Nazca au Pérou, que Feu Eduardo Hérran, m’apprend en regardant une photo que j’avais faite, que JE SUIS PHOTOGRAPHE…

Pour le reste, tu découvriras à travers chacun de mes sujets et engagement comment j’ai décidé de vivre chaque jour de ma vie comme une aventure en faisant confiance au CAMINO PROVIDES…